bandeau

bandeau

vendredi 23 janvier 2015

La chanson

Rosie The Riveter la chanson

Rosie the Riveter est un personnage qui apparaît à partir de décembre 1942 dans les médias, surtout dans des chansons et des affiches mais aussi au théâtre par exemple Réf 1. Ce personnage est inventé de façon à encourager les femmes à changer leur quotidien et à leur donner un modèle pour remplacer les hommes à l’arrière du front.


Ce personnage est, à première vue, un réel outil de propagande.
Réf 1 : Sites d’archives de journaux américains : NYS Historic Newspaers, [en ligne]. [consulté le 15/01/2015],Disponible sur Internet http://nyshistoricnewspapers.org/lccn/sn85009634/1944-04-05/ed-1/seq-1/

1.1 Définition de la notion de propagande

Il existe un nombre très important de définitions de la propagande. Le sens américain est même différent du sens français, du fait de deux histoires différentes (la France est très marquée par la propagande sous le régime de Vichy). Et pour savoir ce qui dans la modification de l’image de la femme à laquelle on s'intéresse, est issu d’une prise de conscience ou d’une manipulation mentale il nous faut définir d’abord ce terme. La définition qui semble souligner le mieux la difficulté à cerner le mot de « propaganda »  tout en développant son sens est encore celle de l’encyclopédie Britannica: “Propaganda, dissemination of information — facts, arguments, rumours, half-truths, or lies—to influence public opinion. Propaganda is the more or less systematic effort to manipulate other people’s beliefs, attitudes, or actions by means of symbols (words, gestures, banners, monuments, music, clothing, insignia, hairstyles, designs on coins and postage stamps, and so forth). Deliberateness and a relatively heavy emphasis on manipulation distinguish propaganda from casual conversation or the free and easy exchange of ideas. The propagandist has a specified goal or set of goals. To achieve these he deliberately selects facts, arguments, and displays of symbols and presents them in ways he thinks will have the most effect.” Réf 2 

Que nous pourrions traduire ainsi : "La propagande, diffusion de l'information - faits, arguments, rumeurs, semi-vérités,ou  mensonges dans le but d’ influencer l'opinion publique. 

La propagande serait donc l'effort plus ou moins systématique de manipuler les croyances, les attitudes ou actions d'autres personnes au moyen de symboles (des mots, des gestes, des bannières, des monuments, de la musique, des vêtements, insignes, coiffures, des conceptions sur des pièces de monnaie et les timbres-poste, etc.). De manière délibérée et insistante la manipulation se distingue de la conversation ou de l'échange d'idées d’une conversation ordinaire. Le propagandiste a un but précis ou un ensemble d'objectifs. Pour atteindre ses buts il choisit délibérément les faits, arguments et affiche des symboles et les présente de la façon qu'il pense avoir le plus d'effet ". 
D’après cette définition, “la propagande serait une volonté de manipulation”. En cela elle impose donc que le manipulateur ait volonté donc conscience de son but et ce but est la manipulation. Échanger des idées dans l’intention de convertir en votre croyance n’est donc pas de la propagande. En posant la question : “Comment convertir ou convaincre? “, le but devient non pas de convaincre mais de trouver un moyen de convaincre. Dans ce cas là ce serait alors de la propagande.

Afin de mieux comprendre les relations complexes entre les américains et les actes de propagande pendant la seconde guerre mondiale, il nous semble important de revenir sur l’histoire et l'évolution de la propagande et plus particulièrement sur l’histoire de la propagande aux Etats Unis en temps de guerre.
Réf 2 : Bruce Lannes Smith, Encyclopeaedia Britannica, Propaganda [en ligne]. 2014. [consulté le 15/01/2015],Disponible sur Internet http://global.britannica.com/EBchecked/topic/478875/propaganda

1.2 Histoire de la propagande aux Etats-Unis en temps de guerre

Pendant la première guerre mondiale le responsable de la propagande aux Etats-Unis est Edward Bernays. C’est le neveu de Freud et il va se fonder sur ses travaux pour créer sa théorie. Bernays considère la propagande comme légitime. Il déclare dans son ouvrage Propaganda “ The conscious and intelligent manipulation of the organized habits and opinions of the masses is an important element in democratic society.”. Réf 3 Cette position traumatise une partie de la population. En conséquence, le gouvernement des Etats-Unis pendant la deuxième guerre mondiale va nommer à la tête de l’OWI (United States Office of War Information) un directeur qui sera opposé à son « prédécesseur ». Davis est aussi fort apprécié par ses pairs pour ses qualités et principalement pour son honnêteté. Il déclare désirer "voir que le peuple américain est honnêtement informé" to “see that the American people are truthfully informed”.
Réf 3 : Edward Bernays, Propaganda, Préface de Normand Baillargeon, Ig publishing 2004. Version française Zones / Éditions La Découverte, Paris, 2007.Réf 4 : Cutlip, Scott M.. The unseen power: public relations, a history. L. Erlbaum Associates. p. 185. ISBN 0-8058-1464-7. 1994.

1.3 A l’origine de l’image : La chanson

1.3.1 Histoire de la chanson

En 1942 Redd Evans et John Jacob Loeb ont écrit et composé une chanson qui porte ce nom célèbre de Rosie the Riveter.
Nous ne savons pas grand-chose sur le moment de l’écriture et de la composition. Cependant nous savons que Rosie n’était pas une personne réelle. Pendant l’écriture de l’ouvrage “The true story of Rosie the Riveter: Women Working on the Home Front in World War II” Penny Colman a pu interviewer la veuve de John Jacob. Elle affirme alors que le titre de la chanson n’était pas lié à une personne réelle mais simplement choisi pour ses qualités sonores, il sonnait bien Réf 5.


L’étude la partition est aussi importante. Dans la partition originale on trouve le célèbre “Br~~~”.
Figure 2 : Rosie the Riveter first Score including the “Brr~~~~~~~~”


Ce son est présent, semble-t-il pour rappeler le son d’une riveteuse. Mais une riveteuse ne présente pas du tout ce son. C’est un engin pneumatique qui n’émet un son qu’au placement de chaque rivet Réf 6 et absolument pas un système émettant des vibrations tel qu’un marteau piqueur avec lequel il semble être ici confondu. Si la confusion semble nous renseigner sur les compétences des auteurs en matière industrielle, encore qu’il semble bien qu’ils en aient certaines puisqu’ils connaissent la signification du « E » signifiant Excellence « When they gave her a production "E" », elle est aussi peut être le moyen de placer une référence à l’évocation d’un acte sexuel ou pour le moins à la mise en vibration du corps féminin de « Rosie ». Mise en vibration bien plus évocatrice qu’un simple « pchiiittt » ou « poc » de très courte durée. Nous devons cependant reconnaître un hommage. Dans la phrase “That little frail can do more than a male will do “ que l’on peut traduire par “cette petite mignonne peut faire plus qu’un mâle”, la femme est certainement vue comme mignonne « frail » donc une jeune fille dans les codes de la représentation féminine classique, mais elle celle-ci est capable de plus qu’un homme. Cette opposition mâle / femelle ou la femelle sort vainqueur est un véritable bouleversement de l’image de la femme.
Réf 5 : Unca Marvy. Interviews with John Jordan and Norval Taborn by Marv Goldberg The original of this article appeared in: Yesterday's Memories [en ligne]. 1976. [consulté le 15/01/2015], Disponible sur Internet http://www.uncamarvy.com/4Vagabonds/4vagabonds.html
Réf 6 : University of Missouri-Kansas City. First score-Source. A project in partnership with the Truman Presidential Museum and Library [en ligne]. [consulté le 15/01/2015], Disponible sur Internet http://test.library.umkc.edu/spec-col/ww2/warnews/rosie.htm
Réf 7 : Pond5. The World's Stock Media Marketplace. Sound Effects [en ligne]. [consulté le 15/01/2015], Disponible sur Internet http://www.pond5.com/sound-effect/8859007/industry-aircraft.html

1.3.2 L’interprétation initiale

Nous avons recherché la plus ancienne version disponible et retrouvé sur le site d’archives d’émission radio http://otrrlibrary.org une archive audio d’une émission de radio du début décembre 1942  Réf 8 . L’émission en question est facilement datable du fait qu’à la seconde 43 de l’enregistrement, le présentateur déclare : “Folks, one year ago this week, the japs attacked Pearl Harbour…” (”Nous sommes dans la semaine du premier anniversaire de l’attaque de Pearl Harbour” [cliquez ici pour entendre cet extrait]. L’attaque de Pearl Harbor est datée du 7 décembre 1941, nous pouvons ainsi dater l’émission entre le 1 et le 14 décembre 1942. En cherchant dans les archives de journaux américains en ligne Réf 9 nous trouvons une première référence à la chanson dans le journal REPUBLIC – DEMOCRAT, BROCKORT, N. Y du 19 novembre 1942.






Mais cet article ne correspond pas à l’enregistrement de l’émission de radio. Par contre, un article de journal dans le “The Fresno Bee The Republican” (Fresno, California) du samedi 12 décembre en page 4 qui parle d’une chanson Rosie the Riveter chantée par les Hoosier Hot Shots. L’article dit : ”... When the Hoosier Hot Shot will start things moving with Budy. They also will present their version of Rosie the Riveter later in the program.” Réf 11 et c’est exactement ce que nous pouvons entendre dans l’enregistrement audio à la minute 21 et 50 secondes [cliquez ici pour entendre cet extrait].
L’orchestre participant à l’enregistrement de l’émission radio du début décembre 1942 est : The Hoosier HotShots.  Bien que ce ne soit pas le morceau qui nous intéresse une écoute des The Hoosier Hot Shots est parlante, nous n'avons pas la date de cette vidéo mais le titre "She broke my heart in three places" a été enregistré par le groupe en 1944.



The Hoosier Hotshots,"She broke my heart in three places"

Ces quatre musiciens se définissent eux même comme “The Rural Rhythm Boys” que l’on pourrait traduire par « Des garçons de ferme qui ont le rythme ». L’orchestre est défini par le site de streaming musical MusicSpotity Réf 12 comme “quartet of madcap musicians”, autrement dit: un quartet de musiciens burlesques. Un des musiciens a construit lui-même son instrument de percussion qui se nomme "Wabash Washboard”, il inclut une planche à laver (washboard), des klaxons de vélos, des cloches et des sifflets de toutes sortes. Le moins que l’on puisse dire c’est que ces quatre garçons ne font pas très sérieux. Toujours à l’écoute de l’archive de l’émission de radio, nous remarquons que le présentateur introduit l’orchestre : les Hoosier Hot Shots comme les quatre « Roméo ». Il déclare à la fin de la prestation “the Hotshots will certainly join Rosie the Riveter” ce que l’on peut traduire par « ils vont certainement rejoindre Rosie the Riveter ». Ces deux commentaires apportent une « évocation sexuelle » ou pour le moins érotique à la chanson.

Figure 4 : Rosie the Riveter original Lyrics Réf 13
Si l’étude de cette première interprétation est indispensable à la compréhension du phénomène Rosie, il nous faut aussi étudier la version la plus célèbre qui a été réalisée plus tard.

Réf 8 : Old Time Radio Researchers. Old time Radio Researchers group Library, [consulté le 15/01/2015], Disponible sur Internet http://otrrlibrary.org/OTRRLib/Library%20Files/N%20Series/National%20Barn%20Dance/The%20National%20Barn%20Dance%2042-12-05%20(x)%20First%20Song%20-%20Rosie%20the%20Riveter.mp3, site consulté le 15 javier 2015
Réf 9 : Sites d’archives de journeaux américians : http://www.newspapers.com, http://otrrlibrary.org http://nyshistoricnewspapers.org/, sites consultés le 15 javier 2015
Réf 10 : Northern New York Library Network. NYS Historic Newspapers [en ligne]. [consulté le 15/01/2015], Disponible sur Internet http://nyshistoricnewspapers.org/lccn/sn88074072/1942-11-19/ed-1/seq-4/, site consulté le 15 javier 2015
Réf 11 : historical newspapers from across the United States and beyond, Newspapers from the 1700s–2000 [en ligne]. [consulté le 15/01/2015], Disponible sur Internet http://www.newspapers.com/search/#query=Rosie+the+riveter&ymd=1942-12-12
Réf 12 : Musicspotify, Smartly discover new music and friends [en ligne]. [consulté le 15/01/2015], Disponible sur Internet http://musicspotify.com/artist/Hoosier-Hot-Shots
Réf 13 : Douglas Tallack , Twentieth-Century America: The Intellectual and Cultural Contex, Routledge, ISBN-10: 0582494559, ISBN-13: 978-0582494558, 1991

1.3.3 L’interprétation la plus connue et l’évolution entre les deux versions

La chanson sera ensuite enregistrée par de très nombreux groupes mais la version la plus célèbre est celle chantée par The Four Vagabonds. Cette version est enregistrée le 15 janvier 1943. Ces artistes racontent qu’ils ont enregistré le morceau seulement une heure après en avoir reçu la partition en remplacement d’une chanson prévue dans la séance de studio, qui présentait un problème de droit d’auteur : “...but at the last moment, the composer refused to sign a release. Bluebird officials gave then ROSIE THE RIVETER and ROSE-ANN OF CHARING CROSS and told the group that if they liked the tunes, a new session date would be arranged. The versatile group looked the songs over, fooled with them for a half hour, and then informed Bluebird that another hour of practice was all the time they needed. They went on to cut them both in only one take apiece!". Réf 14






Réf 14 : Penny Colman. Award Winning for all ages. On Writing Rosie The Riveter. On Writing Rosie The Riveter [en ligne]. [consulté le 15/01/2015], Disponible sur Internet http://pennycolman.com/on-writing-rosie-the-riveter

1.3.4 Analyse sociologique de la chanson


Entre les deux versions il y a effectivement quelques différences.

L’image des Four Vagabonds est bien différente de celle des Hot Shot. The Four Vagabonds sont plus élégants que les Hoosier Hot shot. Ce sont tous les quatre des hommes de couleur alors que les Hoosier Hot Shots sont blancs. The Four Vagabonds ne jouent que d’un seul instrument : la guitare (Même si pour Rosie the Riveter un cinquième instrumentiste, au piano, sera présent pendant l’enregistrement)
Les arrangements de la chanson dans cette nouvelle interprétation sont modifiés.
La chanson est plus riche, plus complexe avec un travail de voix polyphoniques. L’improvisation à la flûte à coulisse est remplacée par une improvisation vocale plus valorisante. La version des Hotshots est plus lente de 100 bpm (113 pour les Vagabonds). À la fin de la chanson les Hot shots accélèrent le rythme pour passer de 100 bpm à 120 bpm. Cette accélération finale peut aussi être vue comme l’évocation d’un acte sexuel. Enfin le texte est modifié, la phrase « When they gave her a production "E" » – qui est une référence au prix d’"Excellence" est remplacé par "When they gave her a production need."
Aucune de ces modifications ne semble être liée à la volonté de rendre la chanson plus « manipulatrice ». Le changement du texte est simplement là pour le rendre plus compréhensif.
Certes, le côté burlesque est atténué, mais le fameux « Brrr » est introduit “tel quel”, ce que les Hotshots n’avaient pas fait en le remplaçant par une percussion au son sec. Comme nous l’avons vu, ce son n’est pas représentatif du son réel d’une riveteuse. Étant sur la partition et ne sachant pas si les Four Vagabonds connaissaient la version précédente et le son réel de la riveteuse, on ne peut leur imputer le choix de l’introduire dans la chanson.

Est-ce de la Propagande ?

L’aspect burlesque de la première version de la chanson, les commentaires grivois du présentateur, le fait que l'enregistrement de la chanson soit un choix de dernière minute (dans la version des Four Vagabonds) montrent que la chanson est plus issue d’un processus créatif et artistique que d’un véritable calcul politique. Il ne s’agit pas de propagande telle que nous l’avons définie précédemment, définition qui inclut la volonté de manipuler l’opinion publique. 

Conclusion : Transformation et réalité?

Comme nous l’avons vu, Rosie the Riveter est un personnage de fiction. Elle doit son nom au seul fait qu’il est percutant, comme ce “Brrrrrr” dont le son ne correspond à rien de réaliste. Le personnage féminin est en fait fantasmé. La Rosie de la chanson est imaginée par des auteurs, des interprètes, des présentateurs qui sont tous des hommes et elle est conforme à la vision masculine de la société américaine de 1942. La représentation de Rosie sur la partition originale est sur ce point très instructive. Rosie, au travail, barbouillée de cambouis, ne nous en apparaît pas moins sensuelle, maquillée, fine et souriante très féminine. 



Cette chanson est aussi le reflet d’une réalité de femmes qui travaillent dans les usines à la place de leur compagnon. La fraîcheur , la légèreté et la qualité de la chanson permettent de faire accepter la réalité aux plus réticents et de donner aux femmes participant à l’effort de guerre un côté séduisant.
la chanson n’est pas une oeuvre de propagande. La chanson présente un personnage féminin tel que l’imaginent et la souhaitent les hommes de la société américaine en 1942. Cependant, la chanson annonce une nouvelle image de la femme tout en conservant une grande part des clichés historiques, grâce à l’humour et à la sensualité voire à l’érotisme. Elle engage de manière progressive le changement de l’image des femmes, de leur rapport au travail et de leur engagement dans l’effort de guerre. La chanson est un pont entre l’image de la gentille jeune fille : “little frail” et celle d’une femme qui est capable de bien plus qu’un homme : “more than a male will do”.
Réf 15 : University of Missouri-Kansas City. LaBudde Special Collections, Sheet Music Collection [en ligne]. [consulté le 15/01/2015]], Disponible sur Internet http://library.umkc.edu/sites/default/files/images/spec-col/col-sheet-music-rosie-the-riveter-1000px.jpg

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire